Porte-bonheur
Ma mère et moi avons retraversé le cimetière à pied pour regagner sa voiture qui était garée de l’autre côté.
On ne s’est rien dit en marchant.
Heureusement.
Ça m’a donné le temps de penser à Babylone. J’ai repris mon feuilleton, Smith Smith contre les Ombres-Robots, au point où je l’avais laissé. Après avoir fini de parler au bon Dr Francis, j’ai embrassé passionnément ma secrétaire sur la bouche.
« On peut savoir pourquoi tu as fait ça ?, dit-elle ensuite, le souffle un peu coupé.
— Porte-bonheur, dis-je.
— Et la patte de lapin, alors, ça ne marche plus ? » dit-elle.
J’ai longuement contemplé sa bouche humide et délicieuse d’un regard où brillait le désir.
« Tu veux rire ?, dis-je.
— Non, sans blague, dit-elle. Si c’est ça qui remplace les pattes de lapin comme porte-bonheur, j’en veux d’autres.
— Désolé, ma gosse, dis-je. Mais j’ai du travail. Quelqu’un a inventé des cristaux de mercure.
— Oh, non ! », dit-elle, l’appréhension venant soudain se peindre sur ses traits.
J’ai mis mon holster à épée sous ma toge.
« Fais attention, fiston ! », dit ma mère, au moment où j’allais me flanquer dans une tombe fraîchement creusée.
Sa voix m’a arraché à Babylone comme si on m’avait enlevé une dent sans m’endormir.
J’ai évité la tombe.
« Sois prudent, dit-elle. Ou bien il faudra que je vienne vous voir tous les deux. Du coup, le vendredi, j’aurais une journée très chargée.
— Entendu, M’man ; je ferai attention où je mets les pieds. »
Il fallait bien, vu que j’en étais revenu à mon point de départ. Avec la seule différence que ce matin-là, au réveil, je n’avais pas un cadavre dans mon réfrigérateur.